Quand on parle kelsch en Alsace, on pense forcément à Michel Gander, le tisserand de Muttersholtz qui lui a redonné ses lettres de noblesse. Sa disparition a laissé un grand vide et plein de questions chez les amoureux du kelsch… Qu’est ce que le kelsch ? Où en trouver ? qui en fabrique encore et où ?.. Que de questions et quelques réponses dans l’article que nous avons écrit en 2018
Relégué dans les greniers des maisons familiales désertées, après avoir été un ornement banal du quotidien, il a bien failli disparaître. Dans la cuisine ou dans les chambres de son enfance, Michel Gander en a peut-être vu et utilisé. C’est alors un article parfaitement anodin. Et rien ne laisse prévoir que cet enfant sauve de l’oubli ce tissu du patrimoine alsacien.
Certes, il est la 6ème – ou la 7ème, le compte se perd un peu – génération d’une famille de tisserands. Son père est façonnier pour les usines de Sainte-Marie-aux-Mines. Dans son petit atelier, où vrombissent de « vieux tacots » achetés d’occasion en 1920, il sous traite les commandes. L’atelier est contigu aux pièces de vie de la maison. Les enfants y grandissent.
Mais à la fin des années 60, les commandes tarissent.
En passant par le bois
Devenu jeune homme, Michel a une passion pour l’architecture. Cependant , le niveau requis en mathématiques met fin à son rêve de devenir architecte. Qu’à cela ne tienne. Le bac en poche, il entre en menuiserie. Il est en charge du travail d’observation et de précision des métrés.
Le travail du bois le séduit. A ses heures perdues, il se lance dans la création et la fabrication de métiers à tisser manuels. Ces pièces sont vendues à des amateurs.
En effet, après mai 68, et au début des années 70, débute la première vague d’interrogations quant à la société de consommation. Le tissage devient à la mode.
Petit à petit, le fabricant de métiers à tisser devient tisserand.
Les années 70, les débuts d’un long parcours
Michel Gander apprend le tissage, et maîtrise l’ourdissage manuel. Il s’agit de l’opération indispensable qui prépare le fil avant qu’il soit tissé sur un métier. En industrie, c’est une machine au prix d’achat prohibitif qui ourdit le fil. Dès lors, il répond à une demande et organise des stages de tissage.
Son savoir-faire en matière de lin, fibre qui demande de l’expérience, lui permet de créer du kelsch. Les combinaisons infinies de carreaux où se mêlent l’écru, le rouge et le bleu stimulent l’imagination.
Il prendra l’habitude de dessiner ses modèles en écoutant du free jazz. Et leur donne vie dans son atelier, où il apprécie de travailler seul. Car en cas d’erreur, il sait à qui en faire le reproche …
Le tissu en voie de disparaître trouve son public. Certes, il s’agit d’un marché confidentiel, où se rencontrent nostalgiques et amateurs d’artisanat. Mais le résultat est là : le kelsch revit.
En 1977, il convainc sa jeune épouse de se former à la comptabilité, dont elle a horreur. Mais l’enthousiasme de son mari a raison de ses répugnances. Dès lors, elle devient le second pilier de l’aventure, qui va durer 40 ans.
En 1979, Michel Gander abandonne son emploi de métreur en menuiserie du bâtiment pour se consacrer totalement au métier de tisserand. Outre le kelsch, ses créations sont notamment achetées par Castelbaljac et Balenciaga.
Les laborieuses années 80
Mais ce qui porte le nouvel atelier, c’est le coup de foudre d’une femme pour le tissu renaissant.
Epouse d’un cadre de la Chambre des Métiers d’Alsace, elle fait découvrir à son mari les créations de Michel Gander. Séduit à son tour, il devient le levier qui permet au jeune couple d’exposer à la Foire Européenne de Strasbourg. Cela donne au kelsch une grande visibilité.
Petit à petit, la clientèle se diversifie. Les expatriés sont « fous » de kelsch. Les guides de voyage répertorient l’atelier, les touristes de tous horizons sont conquis. Les cadres des entreprises japonaises installées en Alsace visitent régulièrement l’atelier.
Mais l’aisance tarde. Dans les années 80, les filatures et les teintureries du nord de la France ferment les unes après les autres. Trouver des fournisseurs fiables pour des petites quantités artisanales est un rocher de Sisyphe. L’investissement est de plus en plus conséquent. Le fil ne s’achète plus par carton de 40 kilos mais par palette de 500.
Les nuits blanches se succèdent. De façon inattendue, l’atelier trouve un débouché poétique et rentable : les supports en lin pour la broderie. Certes, le marché est étroit. Sans compter que l’envoi des échantillons demande beaucoup de travail manuel. Mais le nom de Gander y devient une référence. Et, de fil (de lin) en aiguille, le développement de ces produits permet de donner au kelsch le temps d’émerger durablement.
Ce qui arrive seulement dans les années 1990.
Une réputation qui n’est plus à faire
Entre temps, l’atelier quitte la maison paternelle pour emménager dans la maison familiale. Un bout de grange accueille la boutique.
Au terme d’un audit serré, Michel Gander, qui aspire uniquement à répondre aux critères élevés qui identifient un bon artisan, voit son travail salué par le titre d’Entreprise du patrimoine vivant.
Le kelsch, vit, le kelsch vibre… Michel crée de nouveaux motifs… La boutique de Muttersholz attirent les amoureux du kelsch tant d’Alsace que des visiteurs du monde entier…
L’aventure s’arrête brutalement en 2017 suive à une maladie sournoise.
Le kelsch en héritage
Celui qui voulait que « l’esprit passe » a trouvé un continuateur en la personne de Cédric Plumey. Destiné à une carrière chez une grande marque du luxe français, ce jeune passionné de tissu se consacre à la création artisanale de kelsch dans la région de Montbéliard.
Symboles émouvants, les « vieux » métiers et les cahiers de Michel Gander sont désormais sous sa protection.
Car le kelsch est avant tout un produit artisanal. Et, il convient de considérer que son mode de fabrication est part intégrante de son essence.
De plus, il faut garder à l’esprit que les production industrielles sectionnent le travail. Ainsi, un contre maître qui compte 30 ans d’expérience sur une machine peut ne rien connaître des opérations en amont et en aval qui précèdent son poste.
C’est une façon de diminuer le savoir-faire et l’amour du geste créatif. Au contraire, l’artisanat permet à l’homme d’apprendre et de recueillir la fierté de son travail.
Le kelsch, tissé sur les métiers des fermes familiales, puis fabriqué par des artisans sur des métiers à moteurs, incarne une succession d’opérations réalisées par un seul homme.
Aujourd’hui, la mémoire de Michel Gander, celui qui a revivifié le kelsch est honorée quand on prends dans ses mains le kelsch produit à Cédric… Le savoir-faire est passé d’un passionné à un passionné….
Vous trouverez le kelsch tissé par Cédric à Plaisirs d’Alsace, 13 rue des dentelles… Et chez Geht’s In, nous aimons travailler ce kelsch pour réaliser nos ElsassRock
Et l’on ferme les yeux qu’il ne soit plus produit en Alsace mais à sa porte, dans la région de Montbéliard où l’on découvre que le kelsch a une soeur, la verquelure. Comme le kelsch, c’est un tissu à carreau, blanc rouge et bleu, produit depuis le moyen âge avec de la fibre de chanvre. Lui aussi était en voie de disparition et Cédric Plumey le fait renaître de ses cendres.
Un grand merci à Claude TRUONG-NGOC pour son autorisation à utiliser ses photos prises en 2015 dans l’atelier de Michel Gander à Mutterholtz